CATEL – POUR LA CAUSE DES FEMMES
Quel parcours que celui de Catel alias Catel Muller, née à Strasbourg en 1964. La dessinatrice de Joséphine Baker, Olympe de Gouges, Kiki de Montparnasse, la récente adaptation (avec Claire Bouilhac) de La Princesse de Clèves et la toute-dernière née, Lucrèce, sur des textes d’Anne Goscinny a un parcours singulier qui fait d’elle la figure la plus notoire de la création féminine de bande dessinée en France.
Avant, mais c’était avant, les dessinatrices étaient peu présentes dans le monde d’hommes qu’est la bande dessinée. On en comptait quelques-unes au début du siècle, dans des journaux pour jeunes filles modèles, mais à partir des années 1970, elles ont commencé à faire parler d’elles avec Claire Bretécher et la bande humanoïde d’Ha ! Nana (1976-1978). Il faut dire que le mouvement Underground, la libération sexuelle et les activismes féministes étaient passés par là… Mais quand même, le scandale récent à Angoulême d’un Grand Prix « sans femmes » (Ils se sont un petit peu rattrapés depuis…) a montré que bien du chemin restait à faire, y compris à Nérac, puisqu’elle est la première femme à être l’invitée d’honneur des Rencontres Chaland.
Disciple de Blutch
Catel a fait ses études aux Arts décoratifs de Strasbourg en même temps qu’un certain Blutch. Le tropisme de l’époque la mène vers l’illustration jeunesse. Elle multiplie les ouvrages pour enfants (une cinquantaine) pour Hachette, Épigones, Nathan, Dupuis ou Hatier. Mais la jeune femme a plus d’une corde à son arc : tout en travaillant dans le pool de scénaristes de la série TV Un gars, une fille, elle est introduite dans le milieu de la bande dessinée par son ami Blutch – rencontré aux Arts Décos dans la classe de Claude Lapointe – qui la traîne chez Fluide Glacial où elle publie son premier album de BD. En 2000, aux Humanoïdes Associés grâce à Sébastien Gnaedig : Lucie s’en soucie, avec Véronique Grisseaux, dans la collection Tohu-bohu. L’héroïne vivra bientôt d’autres aventures sous la bannière de Casterman.
Une bande dessinée aux accents féministes
Bien qu’elle initie des séries pour la jeunesse (Les Papooses, avec Sophie Dieuaide, chez Casterman, en 2003 ; Bob & Blop avec Paul Martin, chez Bayard, la même année), sa rencontre avec José-Louis Bocquet va lui faire prendre un tournant décisif. Elle ne tarde d’ailleurs pas à apparaître dans les radars recevant en 2005 le prix du public au festival d’Angoulême pour Le Sang des Valentines réalisé, là encore en collaboration, avec Christian De Metter (Ed. Casterman). C’est avec l’album Ainsi soit Benoîte Groult, écrit et dessiné seule, qu’elle exprime le plus son féminisme (Ed. Grasset). Mais avec Bocquet, elle publie coup sur coup les « biographiques » Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker respectivement traduits en 6, 4 et 6 langues qui l’assoient définitivement comme l’une des voix féminines – et même féministes – de la bande dessinée. Sa collaboration avec Claire Bouilhac l’amène à parler d’autres femmes : Rose-Valland (avec l’historienne Emmanuelle Polack) et Mylène Demongeot. Avec Claire encore, elle vient de publier l’adaptation en bandes dessinées de La Princesse de Clèves, un ouvrage que Nicolas Sarkozy lira sans doute avec une grande attention.
Éternelle jeunesse
Sa dernière grande œuvre, c’est à Anne Goscinny qu’elle la doit : une formidable série de romans intitulée Le Monde de Lucrèce (Ed. Gallimard) où pour la première fois, « la fille de… » s’essaie – avec un talent incontestable – à l’écriture pour la jeunesse (à partir de 9 ans). Lucrèce, c’est un « Petit Nicolas-fille » : la même intelligence, la même finesse, mais davantage dans le 21e siècle (elle a un petit frère qui joue aux jeux vidéo…) dans une famille loufoque où son bon sens s’exprime avec une pointe d’affirmation féminine.
Sur la table des projets de Catel, Le Roman des Goscinny, une biographie croisée entre le créateur du Petit Nicolas et sa fille, dont Catel assure scénario et dessin, à paraître ce 28 août chez Grasset, et d’autres « biographiques », notamment sur Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma, ou encore Nico, l’icône chantante du Velvet Undergroud.
Didier Pasamonik
Photo©Daniel Angeli
CATEL, Pour la cause des femmes! Exposition rétrospective de l’œuvre en bande dessinée de Catel Du 05 octobre au 3 novembre 2019 Galerie des Tanneries